Friches industrielles fertiles

Catégorie : News
Publié le : 20 sept. 2013

Grâce à la volonté de communautés d’agglomération, des sites sinistrés sont réhabilités et deviennent porteurs d’activité et d’emplois.

Ancienne usine Blan-Lafont reconvertie en pépinière d'entreprises. Lille, le 10 septembre 2013.

Ancienne usine Blan-Lafont reconvertie en pépinière d'entreprises. Lille, le 10 septembre 2013. (christophe maout)

 

Florange ferme ses hauts fourneaux, l’usine PSA d’Aulnay ses portes, même destin pour Goodyear à Amiens. Dans une France qui se désindustrialise, les exemples de sites, vidés de toute vie économique et humaine, se multiplient. Certaines usines fantômes resteront longtemps inoccupées. D’autres seront rasées ou transformées en centres d’affaires isolés, d’autres encore céderont la place à un centre commercial ou à un cinéma multiplexe. Pourtant, il y a une vie après l’usine. Grâce au volontarisme de certaines communautés d’agglomération, une réhabilitation porteuse d’activité et d’emplois est possible.

Le rôle des personnalités politiques locales et la permanence des équipes municipales sont déterminants. «Il faut être reconduit pendant deux ou trois mandats pour porter une vision, faire sortir de terre les nouveaux bâtiments, puis clore les projets», résume Martine Aubry, maire de Lille depuis 2001. Une société d’économie mixte se charge de dépolluer les sols parcelle par parcelle en fonction de l’ancienne activité, d’aménager les espaces et de vendre les terrains. Elle bénéficie de budgets des collectivités territoriales revotés régulièrement. «Ces projets sont coûteux mais il y a un effet levier de la dépense publique : un euro de financement conduit en moyenne à six euros venant des investisseurs privés, entreprises ou promoteurs immobiliers», explique Laurent Théry, ancien directeur de la société mixte d’aménagement de Nantes. La stratégie doit être cohérente et comprendre une dimension économique, souvent tertiaire, autant qu’urbanistique. A la fin du processus, une activité économique aussi riche que la précédente peut émerger sur les ruines. Focus sur trois bons élèves.

Lille L’e-business et les logements

Pour pénétrer sur le site de Fives-Cail-Babcock en périphérie lilloise, il faut obtenir une autorisation, passer par le poste de garde, enfiler un casque de chantier avant de s’aventurer sur les 17 hectares de terrain. D’immenses halles attendent le visiteur, vides, à l’abandon depuis 2001. Pourtant, dans les années 60, les halles abritaient un fleuron de la sidérurgie française, Fives, et ses 6 000 salariés. A la fin du XIXe siècle, on a fabriqué ici la structure du pont Alexandre-III et de la gare d’Orsay. «C’est un site exceptionnel par sa valeur symbolique et historique. Il fallait éviter de le raser», explique Stanislas Dendievel, conseiller municipal de Lille délégué au suivi des projets urbains.

La réhabilitation a été pensée comme un projet global mixte dessiné par l’architecte Djamel Klouche. «Nous voulions un quartier qui allie toutes les fonctions, travail, culture, sport, habitat, et toutes les catégories sociales», détaille Martine Aubry. Il y aura donc un parc de 5 hectares, un lycée hôtelier international dès 2016, une halle commerciale, une piscine et 900 logements dont un tiers sociaux. Les rails, les pavés, des halles témoins et les volumes seront conservés pour tirer parti du patrimoine. «Quand vous voyez l’état des lieux actuel, c’est un sacré pari !» lance Stanislas Dendievel devant les vieux bâtiments. Pas facile d’imaginer que le premier lot de 450 logements sera livré en 2017. La Soréli, mandatée pour l’aménagement, bénéficie d’un budget de 100 millions d’euros. Pour l’heure, seule une bourse du travail située dans les anciens quartiers de la direction de l’usine a vu le jour.

En matière de rénovation de friches industrielles, Lille n’en est pas à son coup d’essai. De l’autre côté de la ville, sur les rives de la Haute Deûle, d’anciennes filatures de coton ont été transformées en parc d’activité dédié aux TIC (technologies de l’information et de la communication), Euratechnologies. Abandonnées il y a trente ans, les usines Le Blan- Lafont ont été réaménagées grâce à 35 millions de travaux. Persuadé que «le rôle d’un élu est de créer les conditions d’un développement économique», Pierre de Saintignon, vice-président en charge du développement économique à Lille métropole, s’est battu pendant douze ans pour Euratechnologies. Le lieu réunit aujourd’hui des entreprises de l’e-business, du logiciel, des télécoms et du Web. Avec son directeur, Raouti Chehih, il a sélectionné 131 entreprises dont Microsoft, Tata, IBM, Cap Gemini et Cisco. Au premier étage, un incubateur permet d’accueillir une soixantaine de créateurs de start-up par an. «Aujourd’hui, Euratechnologies contribue à l’attractivité de notre ville, sa visibilité à l’international. Cette reconversion a été rentable : on a créé 500 emplois directs et on en héberge 2 000 au total», énumère-t-il. Du balcon, on observe les 25 hectares du site en transformation, labelisé Ecoquartier. Mais Pierre de Saintignon songe déjà à son prochain chantier : une université de l’innovation, couplée avec Stanford, remplacera à terme l’ex-usine de grillages Netten.

Saint-Etienne La recherche et le design

A Saint-Etienne, on a fait de la recherche une priorité. Depuis 2003, le laboratoire CNRS Hubert-Curien (optique, photonique) s’est installé dans un bâtiment neuf à proximité des «H», l’ancienne manufacture d’armement du Giat. Cette usine, qui employait 2 000 personnes il y a trente ans, a été vidée en 2002. «Ce laboratoire était une initiative isolée, l’envie de faire un campus universitaire. Mais nous avons évité cette erreur», se remémore Florent Pigeon, directeur du labo et adjoint au maire de Saint-Etienne à l’urbanisme. «C’était incontestablement un bon moyen de créer des emplois sur ce site abandonné. Aujourd’hui, il en compte 160.»C’est la collaboration avec les entreprises du bassin via une quarantaine de contrats industriels et le partenariat d’ampleur avec le leader de l’industrie des surfaces HEF Groupe (1 700 salariés) qui a vraiment relancé l’activité économique du site.

Depuis, le nouveau maire et président de Saint-Etienne métropole, Maurice Vincent, a agrégé à l’ensemble un projet de «parc créatif». L’architecte et urbaniste Alexandre Chemetoff a dessiné un plan d’aménagement comprenant des logements, une crèche, une école et des commerces. Et, depuis 2008, une autre locomotive est arrivée sur le site : l’établissement public Cité du design-Ecole supérieure d’art et du design de Saint-Etienne. «Dans une ville où l’industrie représente encore 23% du PIB, le design permet aux entreprises de retrouver de la compétitivité et de produire de nouveaux objets et services», explique Ludovic Noël, le directeur de cette grosse machine qui se définit comme «un développeur économique». Sa structure accompagne au moins 50 entreprises par an, fonctionne avec un budget de 8 millions d’euros, 95 salariés, et accueille 320 étudiants. «Une fois qu’on a atteint le bon niveau d’investissement public, il y a un effet d’entraînement positif», assure Ludovic Noël. Pour preuve, le groupe privé Altavia s’est installé dans le secteur, fin août.

Deux pépinières d’entreprises favorisent ces déménagements. Rénovée par l’Etablissement public d’aménagement de Saint-Etienne avec un million d’euros de budget dont 300 000 pour dépolluer le bâtiment, l’imprimerie de l’armée est devenue un pôle média. C’est aussi l’Epase qui préparera les 2500 m2 des fameux H pour les transformer en lieu d’accueil pour les petites entreprises créatives. Pour son directeur, Pascal Hornung, «l’idée est de créer un quartier qui produit lui-même ses emplois.»

Nantes La culture locomotive

Il faut remonter jusqu’à l’embouchure de la Loire pour visiter le plus gros projet de réhabilitation de friches industrielles. A Nantes, c’est la culture qui a tiré le reste. «Au début des années 90, on ne se posait pas la question en matière de retombées économiques», se rappelle Jean Blaise, fondateur du Festival des allumés. Les artistes du festival ont longtemps occupé les friches des chantiers navals, avant de découvrir l’usine LU abandonnée. Missionné par la mairie, l’architecte Patrick Bouchain a alors réalisé une rénovation minimaliste pour 10 millions. «Le Lieu unique, ouvert au public en 2000, est à la fois une scène nationale, un bar, un hammam, un restaurant, une librairie et une crèche», explique Patrick Gyger, son directeur. Une utopie rentable car, avec 600 000 visiteurs par an, le Lieu unique peut prétendre à un budget de 5,2 millions d’euros. En 2007, la ville a aussi achevé la rénovation des machines que sont le grand éléphant et le carroussel des mondes marins. Jean Blaise y a imaginé une stratégie culturelle globale, «le Voyage», qui intègre les machines, le centre d’art contemporain, une cale transformée en concept store, les anneaux de Buren et les Nefs. Résultat : Nantes a réussi à s’imposer comme une ville culturelle phare. En 2012, les retombées du tourisme se chiffraient à 46 millions d’euros.

La réhabilitation des friches industrielles sur les 330 hectares de l’île doit beaucoup à la volonté d’un certain Jean-Marc Ayrault. «On a pris la réflexion sur le devenir des friches comme le moyen de recomposer la ville sur elle-même», raconte son successeur à la mairie de Nantes, Patrick Rimbert. L’architecte urbaniste Alexandre Chemetoff a réalisé le «plan guide». La société mixte Samoa est chargée de l’aménagement de l’île avec un budget de 20 millions d’euros par an depuis 2003. «Les investisseurs privés ont aussi eu un rôle à jouer, dans l’immobilier comme dans les autres secteurs, bien qu’il s’agisse d’une prise de risque considérable pour eux», raconte Laurent Théry, ex-directeur de la Samoa. Alstom a gardé un atelier de construction sur l’île, la boîte de nuit du hangar à bananes est l’œuvre d’investisseurs privés. Et, depuis un an, 40 sociétés créatives se sont installées dans l’ancien Karting réaménagé. A l’origine, on comptait 15 000 emplois sur l’île, l’objectif est d’en avoir le double à terme.

Photo: Christophe Maout

Léa LEJEUNE

Source : www.liberation.fr

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